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Chronique littéraire | Amélie Nothomb écrit “Tuer le père”

Tuer le père

Albin Michel, 5euros90

ALERTE PETITE ANALYSE
« L’obstination est contraire à la nature, contraire à la vie. Les seules personnes parfaitement obstinées sont les morts. » Aldous Huxley.
Qui n’a jamais lu une ligne écrite par l’auteure Amélie Nothomb ? Moi j’en ai lu des tas, bien que pas tous encore. J’ai toujours été impressionnée par son activité artistique, sa réactivité et par son attractivité littéraire. Avec une œuvre, au minimum, par an et depuis 1992, l’écrivaine belge cumule au total vingt-huit œuvres romanesques et théâtrales. Cette année là, elle achevait et publiait Hygiène de l’assassin, son premier roman, épineux, cynique, et terriblement réaliste, à l’image du style de la romancière.
Et en 2018, elle sortait son dernier roman Les prénoms épicènes.
Presque vingt ans après Hygiène de l’assassin, Tuer le père pointe son nez dans nos librairies. Un petit roman de cent-vingt pages dont la noirceur ne peut échapper à son lecteur. C’est le premier roman signé Nothomb que j’ai eu entre les mains.


C’est pour cela qu’il est mon choix et le livre du jour.


Tuer le père c’est un peu comme du fer brute qu’on ferait chauffer. Poignant, violent, et modulable. On peut le lire plusieurs fois et y trouver de nouvelles choses auxquelles on a pas fait attention. C’est tout le thème du livre : le jeu, le bluff et la réaction.
«Allez savoir ce qui se passe dans le tête d’un joueur» nous dit-elle sur sa quatrième de couverture. Et bien on en sait rien. On ne sait jamais ce qui se passe dans la tête de quelqu’un.


En bref :


Joe Whips, adolescent vivant à Rino au Nevada vit avec sa mère Cassandra, vendeuse de vélo. Il ne connaît pas son père et d’ailleurs sa mère non plus, puisqu’elle ne sait pas quel homme parmi ses nombreuses conquêtes est le père de Joe. Celle-ci a du mal à garder une relation, mais cette fois elle compte la préserver. Joe et son nouveau beau-père ne s’entendent pas bien car Joe l’accuse de profiter de l’argent de sa mère. C’est la parfaite occasion pour sa mère de faire partir Joe de la maison familiale, alors adolescent. La pension qu’elle lui verse n’étant pas suffisante, il enchaîne les petits boulots et vit dans un motel. Sa passion pour laquelle il vibre est la magie, alors il s’entraîne à la prestidigitation dans des petits bars. Il rencontre après Norman Terence, sans aucun hasard, le plus grand magicien, et celui-ci devient son élève. Ils vivent ensemble et Joe s’améliore vite, presque à en dépasser le maître. Une relation singulière se crée alors entre les deux. Une relation père fils. Ce qui vient se compliquer alors que Joe grandit en magie, en ambition, en volonté, et en amour. Découvrant la sexualité, il tombe amoureux de Christina, la compagne de Norman…
Je ne vais pas tout vous raconter, le livre vous parlera de lui-même !

Tuer le père


Le livre traite de la question du jeu, de la réalité, de sa perception. Autant dans la forme que dans le texte, stylistiquement et au sein même des personnages.

Amélie Nothomb aime bien fausser les routes, telle une magicienne, les plots twist, maniant l’ambiguïté ou la confusion du lecteur sans pour autant écrire de cette façon. C’est là toute la complexité. La confusion se crée d’elle même chez le lecteur. Parallèlement au jeu des personnage sur l’illusion.
On ne sait plus qui est l’illusionniste dans l’histoire, le magicien Norman, ou le joueur bien caché derrière son statut de fils adoptif et élève, Joe ?


Nothomb écrit les choses telles qu’elles sont, comme on pourrait remarquer la faille d’un jeu de carte chez un magicien, mais on ne remarque pas, trop bluffés par la rapidité d’exécution, ou aveuglés par ses propres attentes.
Une écriture brute et sensorielle, qui place le lecteur dans une émotion qui lui est propre, il n’y a pas que la voix de l’auteure qui rentre en jeu, mais la voix du lecteur aussi, c’est la méta fiction.


On connaît Nothomb pour ses écrits courts et percutants. Réaliste, décrivant ici un rapport entre adultes cohérent et un rapport enfant et adulte/parent tout à fait plausible et dans lequel on peut se retrouver et facilement imaginer. Rapporter l’illusion au réel est donc ici un motif de son écriture. Décryptant le plus simplement possible toute la complexité de l’être humain, on esprit joueur, le gris nuancé de sa personnalité et la profondeur de ses actes.
On dérègle les traditions par sa façon ludique d’amener les éléments psychologiques : mettre le parent au rôle de l’adolescent, qui n’assume pas ses responsabilités, alors que par définition l’adulte doit être celui qui prend en charge l’enfant. La mère de Joe se défait de ça, fuyant avec son « petit copain » mais ici en fuyant sa responsabilité envers son fils.
On met l’accent sur le caractère malsain des relations. Le fils apathique face à la séparation avec sa mère, et sa volonté presque destructrice d’être le meilleur magicien du monde, buvant les paroles de son maître.

Mais qui est le maître du jeu ?
La relation Norman/Joe est étrange et divinement bien construite. Le père, ici Norman joue ce rôle, pardonne. Joe semble en avoir conscience, et ces multiples trahisons sont bien sûr excusées. Le moment où celui-ci grandit et monte en puissance, découvre la tromperie, la fête, la drogue, le sexe et la nudité au Burning Man, à ce moment Joe bascule dans une démence implicite, une normalité humaine finalement. Tombant alors obstinément amoureux de la compagne de Norman, Christina, jongleuse de feu, accompagné d’une description chaude de l’expression du corps dansant tout feu tout flemme de Christina, Joe tombe dans un jeu oedipien, une battle perverse avec Norman. Joe, tue son père, au sens littéraire du terme, à petit feu, car un père aime son fils et peu importe ce qu’il fait. Norman est l’espoir du père, et Joe son meurtrier.


Mais on ne bluff pas un bluffeur professionnel.


Un récit d’une folie lente et imagée, un jeu des réalités et un roman charnel, ironique et sans honte où les apparences sont bien trompeuses, même dans l’œil du lecteur. Ou plutôt, disons qu’il refuse de les voir.

Extrait

ElxCRE

Site de Amélie Nothomb

 

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