Hôpital des Fusions, 2051
Petite Jade, elle allait avoir douze ans, elle n’avait vécu qu’ici.
Petite Jade aimait bien ici. Petite Jade, ce matin-là, se doutait de quelque chose, mais ce n’est devenu palpable qu’au moment où ils sont entrés. Pour voir petite Jade.
– Jade, dis bonjour à Monsieur et Madame Shepherd.
– Bonjour.
Un homme et une femme inconnus, main dans la main se tenaient devant la toute jeune fille, ils avaient l’air heureux avec un joli sourire. Celle-ci ne les avait pas regardé ou seulement balayé des yeux.
– Ces gens sont venus pour te voir, tu sais, pour mieux te connaître, discuter un peu avec toi.
Le médecin Harrisson était toujours très gentil, un exemple du centre, celui qui aide au mieux les enfants. Comme un père ou presque. Un de blessé, soigné par Harrisson. Un de pas bien, pris sous l’aile d’Harrisson. Ce jour-là, le ton de sa voix le trahissait. Petite Jade baissait les yeux.
– Non, répondit la gamine.
Le médecin s’en étonna.
– Voyons, Jade, ses gens ne te feront aucun mal, ils veulent juste te parler un peu.
À ce moment-là, la femme qui attendait au bras de son mari vint se pencher sur le visage taché de rousseur de la jeune préadolescente. Elle était grande, blonde avec des yeux d’un vert forêt rassurant. Elle sentait bon.
– Tu veux bien venir t’asseoir avec nous, mon petit cœur ?
La voix douce. La gamine releva les yeux et regarda dans la direction de l’homme qui l’accompagnait. Grand, brun, les yeux bleus, un visage marqué, un costume. Celui-ci était moins rassurant que la première, mais en remontant le regard sur son visage, la gamine y aperçut un sourire. Elle acquiesça doucement, pour éviter d’éterniser cette conversation qui s’annonçait déjà comme allant être longue.
Le médecin Harrisson posa une main au dos de la petite Jade et la poussa suggestivement vers son bureau.
– Très bien alors allons-y, dit-il avec un large sourire à l’égard des deux inconnus.
Un sourire de médecin, là pour être poli et pour faire sentir les clients comme étant importants et comme étant sa préoccupation. Mais il n’en était rien, professionnel est ce qui le caractérisait avec ces gens venus de l’extérieur du centre. À l’intérieur, paternel était le mot. Le médecin poussa la porte de son bureau et fit entrer les deux inconnus ainsi que la jeune fille.
– Asseyez-vous je vous pris.
Le mari et la femme s’assirent sur les fauteuils face au bureau du médecin, tandis que la gamine s’installa sur une chaise que le docteur avait au préalable placé d’un côté du bureau. « Un joli repas de famille. »
– Bien, commença-t-il en sortant un dossier numérique d’un de ses multiples tiroirs, nous allons commencer par revoir un peu votre candidature pour ce dossier.
La femme avait croisé les jambes, et l’homme y avait posé une main, un signe d’appartenance. C’était lui qui parlerait. La jeune enfant, elle, avait croisé les pieds sous sa chaise, un malaise certain, fuyant une conversation certaine.
– Monsieur et Madame Shepherd, hum, Ross Shepherd, et Era Shepherd Lighters, c’est bien cela ?
Ils hochèrent la tête en cadence sans assimiler la question, plutôt simple. Mais un médecin ne se trompe pas.
– Résidants à Liemers, respectivement PDG de Melrose Production à Coraïla, et libraire au même endroit.
Mêmes hochements de tête. Il continua :
– Vous avez récemment découvert votre leucémie, Mme Shepherd Lighters, à quel stade en êtes-vous ?
La femme baissa les yeux, probablement embarrassée par la question si brusque.
– Deuxième.
« Un chuchotement. »
Monsieur Harrisson le nota sur le dossier avec un petit stylet. Une mort prochaine est souvent un élément décisif dans ce genre de procédure. Les morts n’élèvent pas des enfants.
– Vous êtes parents de deux enfants à ce que je vois ; Rorry, quinze ans, et Elisea, six ans.
– C’est bien ça, dit l’homme d’une voix grave. Il avait un léger cheveu sur la langue.
– Vous semblez avoir une situation stable, de bons revenus s’élevant à plus de 15000 Rim par mestre, deux enfants, et vous êtes propriétaires de votre maison de 300 m². Cela peut sembler indiscret, mais tout élément est bon à savoir, pourquoi vouloir adopter aujourd’hui, à l’âge de 40 et 41 ans ? Vous n’avez aucune maladie sexuellement transmissible ni infertilité détectée, d’après votre dernière mise à jour RFID.
Le médecin avait relevé les yeux de ses écrans. Jade regardait fixement le couple. La jambe de la femme se mit à tressauter. Elle ouvrit la bouche, mais l’homme coupa son élan.
– Nous pensons qu’à notre âge le plus judicieux est d’adopter, nous sommes déjà beaucoup sur Terre, nous aurions pu en faire un, c’est vrai, mais ceux de votre centre sont déjà là, attendant que quelqu’un vienne et les adopte.
– C’est louable, mais tous les enfants de ce centre sont un jour placé quelque part à leur majorité graduelle évolutive, à l’âge de douze ans précisément, ils auront un endroit où aller quoi qu’il en soit. Certains restent plus longtemps, mais dans tous les cas tous les résidents de ce centre peuvent partir à l’âge de 18 ans, majorité civile de l’état de Waterim.
Il marqua une pose en notant quelque chose sur sa tablette. Et reprit :
– Mais vous avez raison, adopter un Implanté est une meilleure option de nos jours. Surtout que vous avez déjà deux enfants biologiques, l’USG, Union Scientifique des Gestions, a bien précisé, et nous sommes du même avis, nous les médecins, que, étant donné l’étendue actuelle de la race humaine, il est désormais préconisé d’adopter plutôt que de concevoir soi-même.
Il y eu un silence.
– Nous ne voulions pas de bébé, lâcha d’un coup la femme.
Sa jambe arrêta de trembler. La femme avait parlé. L’homme la regarda d’un regard sombre. Comme si elle avait dit une horreur.
– Bien, nota le docteur Harrisson. Il se tourna vers la gamine.
– Jade, ces monsieur-dame sont, comme tu as dû le comprendre, là pour t’offrir un nouveau chez toi. Veux-tu leur parler ? Poser des questions ?
Jade fixait le sol. Elle releva ses yeux jaunâtres vers le docteur. Regard en détresse.
– Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? J’ai fait une bêtise ?
Il se leva et se baissa face à son visage.
– Non, Jade, ces jeunes gens veulent t’offrir une nouvelle vie, une vie en dehors du Centre. Comme tous les enfants de ton âge, tu iras à l’école, tu auras des amis, et Monsieur et Madame Shepherd seront ta famille. Nous ne nous débarrassons pas de toi, mais tous les enfants de ce Centre partent un jour ou l’autre.
– Mais je ne vous verrai plus…
– C’est exact, dit-il en lui tenant une main, cependant nous nous reverrons tout les cinq mestres après ton départ.
– Tout les cinq mestres ? Releva l’homme qu’il appelait Ross.
– Oui, nous ne prenons aucun risque avec nos Implantés, des bilans doivent être faits régulièrement et nous devons leur administrer différents produits non autorisés dans les foyers familiaux et à l’utilisation hors zone médicale. Cela tombe sous la logique.
– Je ne veux pas partir, je suis bien ici, dit alors la jeune fille.
– Il le faut. Jade. Il faut partir un jour.
La gamine se leva brusquement et sortit du bureau en claquant la porte. Dr. Harrisson souffla et se réinstalla à son bureau.
– Peut-être faudrait-il la rattraper ? Avait dit Ross Shepherd.
– Ne vous inquiétez pas, les enfants de ce centre n’ont jamais connu le monde extérieur et pour 90% des cas cela fait douze ans qu’ils vivent ici, le détachement à ce lieu est forcément difficile, mais elle s’y fera. Elle ne vous en voudra pas longtemps.
– Vous ? Remarqua la femme. Ça veut dire que… que nous l’avons ?
– Oui, je ne vous ai rien dit au télésomane mais, vous étiez les seuls intéressés par celle-ci, et je n’avais eu aucune autre inscription avant la vôtre.
La femme poussa un petit cri de joie et enlaça son compagnon.
– Oh merci docteur ! Nous ne pensions pas avoir une réponse aussi tôt avec notre situation.
– Ce n’est rien, Madame. Félicitations.
– Merci pour tout docteur, répondit l’homme inconnu qui embrassait alors sa femme.
– Il faut encore parler administration, dit alors le docteur.
– Nous allons avoir un enfant ! Ils se sont supposément enlacés à nouveau.
– Allons chercher Jade si vous voulez bien.
Lorsqu’ils sortirent, la gamine avait l’oreille clouée à la cloison du mur.
– Jade ! Cria doucement le docteur. On n’écoute pas aux portes.
_ Désolée, dit-elle sans aucune désolation.