Port de Meorin
“Étrangers ! Étranger s!” “Tuez-les” “Qu’on leur tranche la tête !”
Les cris d’indignation et de haine se propageaient dans le village de Meorin. On disait partout que le port de la ville, plus grand port de tous les pays, n’avait plus vu d’étrangers depuis déjà dix ans.
La petite ville était secouée par cette nouvelle venue, tous avaient arrêté leurs activités, pèche, chasse, attelage, pour admirer le spectacle.
Les veilleurs qui avaient pour mission de garder le port cette nuit-là avaient fait un feu, brulant les cadavres de ceux qui avaient succombé aux vagues et au froid de la région de Jefestiar.
Les autres membres de l’équipage tombé, une petite dizaine, des survivants, étaient alors transportés dans une cage de fer, agglutinés les uns sur les autres, blessés pour la plupart. Les veilleurs, au nombre de six, partaient pour le sud dans moins d’une heure, afin d’apporter les quelques prisonniers à la capitale. Pour le temps, ils s’étaient rallié au point de départ, sur la rive gauche du port, place des Dunes.
– Entassez-les s’il le faut ! Criait un des veilleurs lorsqu’on poussa le dernier étranger dans la cage. Ces ordures ne passeront pas la nuit de toute façon.
Le veilleur était le chef de son unité, gradé en fonction de son ancienneté, il portait un imposant brassard pour signifier son appartenance aux veilleurs du port de Meorin, et un énorme collier en métal pour montrer sa supériorité.
Les deux des autres veilleurs attelaient les birusteths pour se parer au voyage, tandis que deux autres étaient en train de manger avant de partir. C’était eux qui étaient chargés du voyage vers le palais royal. Un d’entre eux, une femme à la peau d’un blanc bleutée et aux cheveux noirs, s’était levée, donnant la fin de son pot de miel à son collègue.
Elle s’approcha de la cage, se tenant aux côtés du chef des veilleurs de Meorin.
– En combien de temps serons-nous à O’enly avec ça ? Demanda-t-elle tout en regardant la cage métallique et son contenu.
– Si vous dés maintenant vous y serez dans une journée à peine ; vu la lourdeur de ces choses, les bêtes auront besoin de plus de nourriture encore et seront plus lentes que la normale, tu devrais leur donner du tama et des vourgives.
– Bien, monsieur Derin-sa.
La jeune femme devait bien faire un bon mètre soixante-dix, une petite taille dans le pays de Svaer. Elle se baissa pour attraper le tama, petite plante poussant sur les branches des arbres givrés et quelques vourgives, poissons du pays nordique d’Erkond. Elle enleva ses gants pour mieux attraper les poissons luisants et déposa le tout dans un seau en terre cuite, puis écrasa le tout avec un bâton de bois. Elle donnant le seau aux deux birusteths. Les deux créatures, semblant à un mix d’un hippopotame et d’un ours, s’empiffrèrent de la mixture.
– Nous partons à la fin du repas, monsieur Derin-sa, le temps que Ekin finisse de manger.
Le chef des veilleurs acquiesça et attela son aftal, monture semblant à un dragon sans ailes.
– Je retourne aux côtes, pour chercher s’il y a des restes, envoie-moi des nouvelles lorsque tu quitteras la capitale.
La jeune femme habillée d’une peau de bête noire hocha la tête et caressa les deux birusteths ayant fini de manger. Son compagnon, Ekin, mesurant deux têtes de plus qu’elle, habillé d’un simple pantalon en coton et arborant une longue tresse rouge flambé, la rejoignit et rangea les provisions dans une besace soutenue par l’attelage.
– Je vais chercher Fého et Jera?
– Oui vas-y, répondit-elle pensive, caressant encore les deux bestiaux.
Elle pensa à son retour à O’enly, la capitale, et au moment où elle reverrait enfin le palais royal. La cour lui manquait quelques fois, la ville aussi, mais ce qui lui manquait le plus était sa maison à Tikchev, à la bordure d’O’enly. Là-bas attendait sa sœur, sa compagne, son tout, celle qu’elle avait laissé pour devenir veilleuse de Meorin avec Ekin. Elle attendait ce moment depuis déjà deux années, lorsqu’elle et son compagnon ont quitté la maison commune.
Ekin arriva avec les deux destriers, une corde entourant leurs gueules. L’un était vert luisant, les yeux de la même couleur, et des taches rouges sur le crâne et la queue, il était celui d’Ekin, un mâle, Fého soit le feu primitif ; le second, était blanc nacré, surplombé de fines rayures noires presque invisibles, Jera, soit le cycle, était une femelle turbulente que sa maîtresse avait eu étant jeune.
– Jera, appela-t-elle suivi d’un claquement de langue.
L’aftal avança jusqu’à sa maîtresse et se frotta à elle.
– Bien, dit-elle.
Elle enleva doucement la corde, libérant la gueule et les canines de l’aftal. La créature dragonesque poussa un cri résonnant entre les plaines. Les deux jeunes gens montèrent alors sur les deux créatures à la peau dure, menant au devant les deux birusteths tenant la cage.
– En avant ! Cria la jeune femme dans une langue que personne sur Terre ne pourrait comprendre.
Les bêtes avancèrent alors, suivant les aftals et leurs maîtres. Ils allaient quitter le port, pour passer par les plaintes sur le flanc de la ville, pour n’inquiéter personne. Au moment où le convoi passa les portes du port de Meonin, le chef des veilleurs lança dans le dos de la jeune femme :
– Eh ! Lynae !
La jeune femme se retourna à demi sur sa monture.
– Quoi ?
– Passe le bonjour à la reine pour moi !
Elle hocha la tête et repris son chemin, évitant la ville, et les masse, suivant le chemin givré des arbres morts, et des plaines blanches, allant au sud de la région de Jefestiar, menant les figures étrangères vers la capitale où siège la reine des iles glacées, gardienne du peuple, et seule juge sur terre tant que le gel et la glace vivra.