O’enly, place des remparts
“Les villes de poussière de givre, les remparts de nos ancêtres, tout finira par brûler sous les braises des étrangers venant des contrées de feu ! La reine, pensez-vous qu’elle fera quelque chose ? Son âme est souillée, et dès lors que les étrangers seront là, ils vivront et nous tuerons tous, femmes, enfants, vieillards, ils saccageront, coloniseront. Est-ce cela que vous voulez ? Elle n’est pas femme des Dieux, elle n’est pas même d’ici. Quand avons-nous manger à notre faim, quand avons-nous vu une aurore boréale pour la dernière fois ? Les Dieux nous haient maintenant que la reine siège. Elle laisse entrer les mécréants, et les étrangers, rappelez-vous du peuple des eaux, ils ne sont pas de chez nous, l’Horizon les a recraché, et aujourd’hui et depuis le couronnement de cette usurpatrice, ils vivent sur nos iles, se nourrissent de nos récoltes et se servent sur nos arbres et dans nos prés et eaux ! Que croyez-vous qu’il se passera quand ceux-ci viendront ?”
Sur la place des remparts, place commune où le marché matinal prenait pied, un homme avait grimpé sur la statue sacrée du roi d’autrefois, le roi Stylla le juste. L’homme à la peau sombre et aux cheveux longs traduisant de sa force et de son courage était typé des iles et non du pays de Svaer. Une foule l’écoutait, certains acclamaient qu’il avait raison et d’autres n’osèrent point parler.
“Les étrangers restent où ils sont, ils ne doivent pas venir ici, et cela la reine n’en a rien à faire comme elle n’en a rien à faire de son peuple !”
Les habitants de la capitale présents sur la place levaient des points pour certains, en signe de protestation, certains n’y prêtaient pas attention, d’autres avaient même sorti la tête de leur fenêtre pour écouter l’homme indigné.
“La reine n’est pas digne de son nom !”
La place devint plus animée, certains, en désaccord, venaient à se pousser, à s’insulter. L’homme regardait cette scène avec un large sourire. Cette réaction était exactement ce qu’il attendait, le soulèvement ; les bruits avaient courus sur l’arrivée d’étrangers à Meorin et les étrangers n’engageaient rien de bon.
Soudain, alors que la foule du marché s’existait, une horde de veilleurs d’O’enly, environ une vingtaine, arriva à dos de grands chevaux ailés, à travers marchants et civils.
– Laissez passer ! Cria l’un d’eux, en avant de la troupe.
Les habitants se firent bousculer par les chevaux, et reconnurent la garde de la reine par leurs blasons arborant l’emblème du grand arbre, arbre vieux de la naissance du monde glacé à aujourd’hui. Le chef de la garde descendit de son chavel suivi de quelques autres hommes.
Ceux-ci séparèrent les bagarres tandis que deux d’entre eux attrapèrent le prêcheur. Celui-ci ne se débâti pas, sachant qu’il n’échapperait pas à une sanction. Deux veilleurs le tinrent tandis que le chef, épée en main, s’avança.
– Toi, dis-moi petite merde, qui t’as permis de l’ouvrir!?
Le chef le gifla. L’homme avait de longs cheveux bruns et une peau mâte, le chef lui releva la tignasse pour que celui-ci voie son visage. Ses yeux étaient soulignés d’un trait noir, accentuant le bleu de son iris.
– Moi même, c’est un pays libre ici, dit-il en grimaçant.
– Non mon garçon, pas pour conspirer contre ta reine.
– Ce n’est pas ma reine.
Le garçon ricana, se jouant de l’autorité en face de lui.
– Drethron Tiar mérite. Les étrangers ne sont pas les bien venus.
Le chef lança une autre gifle. Cette fois-ci le garçon éclata de rire.
– C’est comme cela que la reine maintient l’ordre, magnifique démocratie !
– Ferme-la ! Cria le chef en lui administrant un coup dans l’abdomen.
Le peuple s’était dissipé sou ordre des autres veilleurs, le garçon était maintenant seul avec ces hommes de loi.
– T’es qui petit con?
Le garçon ne répondit pas.
– Bien, tu ne veux pas répondre, alors emmenez-le.
Les deux gardes trainèrent le garçon et l’attachèrent avec une corde.
– Allez vous faire foutre ! Vous et votre reine ! Hurla-t-il vers le chef des veilleurs.
– Tu vas aller lui dire toi-même.
Le garçon vu le peuple auquel il parlait deux minutes plus tôt le regarder sans vraiment le faire, feignant de choisir leurs légumes, boire leurs bières.
– Vous aussi allez tous vous faire foutre, vous me regardez mais vous ne bougez pas ! Vous êtes tout aussi véreux que les veilleurs de la reine et tout aussi faibles et stupides !
– C’est ça, c’est ça, dit le chef en enfournant le jeune homme dans une boite en bois qui servait habituellement à y enfermer les pirates et bandits pour les mener aux prisons de la ville de Tyramé.
Cinq hommes des veilleurs royaux arrivaient dans l’entre de la Citée Royale chargé quelques minutes plus tard. Il s’arretèrent près de la grille du palais qui jadis était un grand théâtre accueillant les meilleures troupes de comédiens du pays et du reste du monde. Le palais a d’ailleurs conservé le nom de Grand Théâtre bien qu’aujourd’hui et depuis trois générations de rois, ce lieu était là où demeure nobles et suzerains.
La grille était de verre Fildien, importé directement de l’ile de Filda, ce verre était réputé pour être le matériau le plus résistant en dessous même du fer pur que forge les habitants des terres montagneuses des iles du Sud. Elle mesurait bien six mètres de haut et entouré tout le Grand Théâtre. La charrette où reposait la boite était tirée par des buffles blancs de grande taille. Le chef des veilleurs royaux détacha la charrette de l’attelage et en fit sortir trois hommes dont notre prêcheur.
– Avancez, dit-il aux trois hommes ficelés les uns aux autres.
Il les poussa vers la grille, celle-ci s’ouvrit sur le palais, massif, glaciére, aux allures gothiques et titanesques. L’homme qui avait été fait prisonnier n’y était jamais entré, tout comme très certainement ses camarades enchainés.
– Cesse de rêvasser, dit le chef au prêcheur.
L’homme avança avec les deux autres vers les portes du Grand Théâtre sans broncher. Les portes s’ouvrirent sur un intérieur froid et terne, des ornements ravivaient le lieu, mais il restait sans prétention. Hormis sa grandeur et ses nombreuses décorations aux effigies des Dieux et des rois, tout était gelé dans le temps, pétrifié, originel.
– J’apporte une nouvelle cargaison pour la reine, ceux-ci ont blasphémés les Dieux et ont enfreint la loi, dit le chef à un homme vêtu d’une robe longue et noire.
– Attend ton tour dans la salle du trône, Gregor, nombre sont venu pour solliciter la justesse de la reine en ce jour.
L’homme n’était point âgé, tout le monde le connaissait sous le nom de Fieldrik, conseiller le plus proche de la reine. On disait qu’on comptait trois conseillers à la reine, Fieldrick, conseiller du roi d’hier et du roi d’avant-hier, fervent serviteur et passionné de lectures des iles glacées ; Pheol, chef de l’armée royale ; et Mirandre, veuve du roi Stylla. D’autres conseillaient la reine lors de réunions au niveau des finances, des affaires mondiales, des affaires régionales… Aujourd’hui la reine s’occupait des jugements.
Réputée Reine Juste, comme le furent ses prédécesseurs, la reine a pour devoir de juger les crimes et rétablir les problèmes des habitants de la région. Certains font d’ailleurs le voyage depuis des régions éloignées de la région de Jefestiar, mais aussi depuis les iles, loin du pays de Svaer. La reine étant l’autorité dominante, bien au-dessus des seigneurs régnants sur les autres régions et iles, le droit à la justice lui revient.
Le chef des veilleurs royaux, Gregor, suivi de deux hommes, entrèrent avec les détenus dans la salle du palais. Une immense salle avec arcades, voutes, piliers, peintures, vitraux, et un trône fait de glace et de verre fildrien. On attendit face au trône des deux côtés de l’allée que la reine et ses conseillers et proches n’entrent pour procéder aux jugements. On restait en silence pour honorer les Dieux, que leurs jugements soient justes et en résonance avec les sentences proclamées par la reine.