IDENTICAL V2 (fiction cyberpunk) : chapitre 5, “First day of my life”

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Liemers, 2059

Jade

Elle était allongée sur le lit, froide. Elle sentait mauvais. Elle sentait la maladie et la mort. Petite Jade que j’étais avait grandi pendant huit ans, son corps était devenu femme et sa poitrine naissante était maintenant une protubérance. Aujourd’hui elle avait vingt-deux ans. 

Mais, elle, cette femme, ce corps mort, elle, elle n’avait plus d’âge. Figée dans l’éternité. Bientôt son corps redeviendrait alors aux cendres d’où chaque être vient. Sauf moi, et tous ceux de mon espèce. Bien sûr. 

Quand j’entrais pour la première fois dans le bâtiment, une forte odeur se faisait sentir. On y entreposait des morts, tout frais, fraîchement passé de l’autre côté. Un trépas qui menace de vous toucher rien qu’en pénétrant dans ce mortuaire qu’est l’hôpital de Liemers. C’est là que Era attendait de passer sur le bûcher. N’importe quel prêtre désapprouvait cette pratique, revenir à la cendre par le feu, et cela, dans un hôpital. 

Mais, aucun cimetière n’était aujourd’hui assez grand pour accueillir en son même sein ceux qui ont la foi et ceux qui ne l’ont pas. Ceux qui croient et ce qui ont fait le choix de ne pas le faire. Le corps était là depuis seize heures maintenant et franchement, j’avais envie de vomir. Des vieux relents me laceraient la trachée. Mon oncle, Elogé, et sa femme Flore étaient dans le couloir, à attendre, encore et encore. Grande Jade était alors seule avec le corps. Ross et les enfants avaient été prévenus avant elle et avaient déjà vu ce qu’il restait de la mère de famille. 

Après dix minutes, je suis sorti de la pièce en prenant soin de refermer derrière moi la porte funèbre en un grincement. Je pense que si on avait pris une photo de moi à cet instant, j’aurais la même tête que le Grinch. Je me suis adossé au mur blanc de l’hosto, pour éviter de m’effondrer. 

– Ils ont dit qu’ils l’emmèneraient à midi. 

Elogé avait une voix fébrile. Il avait pleuré aux vus de ses poches sous les yeux et des rougeurs sur ses joues bombées. 

– Pourquoi Ross ne m’a pas prévenu ? 

Il avait plissé les yeux. C’est vrai qu’avec mon chewing gum on aurait dit que j’avais une patate en bouche. 

– Le choc probablement. Elisea est aux toilettes encore, elle voulait être un peu seule avant d’emmener sa mère au crématorium. Ça fait des heures qu’on attend pour l’y emmener. 

Il se moucha. La tante Flore, lui tenait ses mains tremblotantes. 

– Ils ont donné une date de crémation ou pas encore ? 

– Dans deux jours. 

Grande Jade cherchait des yeux les toilettes, pour y retrouver sa petite sœur de seize ans. Elle était celle qui avait le plus de liens avec sa défunte tutrice. 

– Il faut qu’on y aille tous ? 

– Tu n’es pas obligée de venir Jade, répondit Flore, c’est seulement pour la voir une dernière fois et pour parler des modalités de crémation. Tu viens juste de la voir, tu n’es pas obligée. 

– Je vais venir. 

Elle vit l’écriteau des toilettes et s’empressa d’y aller. Elle trouva à l’intérieur, assise dans la première cabine, sur une lunette métallisée, Elisea, les yeux rivés vers le vide et les genoux sous le menton. Elle était encore en pyjama. 

Je me suis donc accroupie en face d’elle. C’est comme ça que font les humains pour compatir à la tristesse. Même les petits coins étaient d’un sinistre. 

Era avait combattu pendant dix ans la LLC, vouée à la tuer, à petit feu. Allongée comme endormie sur ce lit, on n’y voyait presque qu’une carcasse, une carcasse qui hébergeait l’âme la plus forte qui m’était donné de voir un jour. Je la respectais. Et maintenant elle n’était plus. C’est bizarre la mort. C’est toujours bizarre. J’aurais pu avoir l’air désolée, mais j’avais du mal, Era était ma tutrice, pas ma génitrice. 

Ressentir ça, vraiment, la tristesse et compatir. Qu’est-ce que j’aimerais ! Mais, l’odeur, du corps, était encore partout sur moi et embaumait les environs… La mort et le formol, c’est ça que ça sentait, un horrible dernier souvenir pour une femme splendide. 

À ce moment, j’enlevais mon bomber pour le mettre sur les épaules maigres de ma petite sœur par tutelle. Celle-ci la balaya d’un coup de main, et la veste tomba sur le sol humide d’eau et de pisse. 

– Je n’ai pas froid. 

Il faisait la même température que dans un congélateur dans ces toilettes. 

– Ça va toi ? Ai-je demandé après un silence. 

Elisea, cette jeune adolescente qui avait tout de sa mère, de la sveltesse aux cheveux immaculés, ouvrit les yeux et les braqua sur Grande Jade comme un fusil sur un piaf. 

– Dégage de là toi, t’as rien à faire ici. 

J’eu un petit geste de recul, tant de violence, j’étais pas prête. 

– Désolée, je voulais être gentille.

Elisea remis sa tête entre ses genoux. 

– Dégage. 

Je me suis relevé avec difficulté, mes pauvres genoux endoloris. J’avais pas envie de laisser ma petite sœur pleurer en silence. Mais… Je ne pouvais rien y faire. Appart être ce que je suis. Appart disparaitre pour laisser les humains vivre. Je sais pourquoi Era est morte et tout le monde le sait. C’est ça, le plus violent. 

« Imaginez-vous un peu, votre sœur, avec qui vous avez vécu huit années, vous déteste. Parce que sa mère est morte. Parce que vous êtes ce que vous êtes. Parce que vous êtes nés avec un sang de la couleur du ciment. » 

– Je vais me chercher un Coca, ai-je dit à l’intention de mon oncle et ma tante. 

Devant la machine, deux couloirs plus loin, je ressentis comme un tournis. Grande Jade n’avait pas encore mangé, grande Jade avait oublié avec toutes ces agitations et maman Era n’était pas là pour lui rappeler de manger. 

« Sélectionnez votre boisson. » 

C’était bizarre soudain de comprendre que certains mourraient et d’autres avaient plus de chances. Pas vraiment la loi de la nature, mais en quelque sorte si, juste régulée. 

« Veuillez présenter votre carte 1 devant le capteur. » Elle tendit la main droite devant le flash. « Carte 1 refusée. »

– Putain ! Ai-je crié en tapant le distributeur. 

– Tout va bien, madame ?

L’I.A avait l’air d’un humain.

_ Oui, oui, je n’ai juste pas transférer de la carte zéro à la 1. 

L’I.A continua sa route tandis que je me décidais à avorter l’idée et à retourner vers la salle. Alors que je revenais, un peu bredouille, je fus surprise de constater l’absence d’Elogé et de Flore. Et la porte menant au corps de ma tutrice avait été… grande ouverte. J’y passa la tête, l’histoire de m’assurer que je n’arrivais pas trop tard, mais le corps était plus là. 

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